Rencontre avec Raoul - Joint de Culasse


Raoul est planté à l’entrée du bar, l’œil farouche et les bras croisés, à l’instar du danseur de Cazatchok qui se prépare à l’action.
Il dévisage chaque passante, scrutateur. Il m’attend.
J’ai deux minutes de retard et j’ai l’impression que je n’ai pas intérêt à tarder, sinon ça va chauffer !
Il dévisage chaque passante, scrutateur. Il m’attend.
J’ai deux minutes de retard et j’ai l’impression que je n’ai pas intérêt à tarder, sinon ça va chauffer !
Je presse le pas. On n’est pas là pour se faire engueuler, non plus…
Je l’ai reconnu tout de suite. Assez conforme à sa photo, à part cette coupe en brosse et cette mini-moustache qui le fait vaguement ressembler à la petite sœur anorexique de Pierre Bellemarre.
- Bonjour ! Raoul ?
- Ah !
Les bras toujours croisés, il me scanne de la tête aux pieds, puis des pieds à la tête.
Ca met tout de suite à l’aise. Je me dandine d’un pied sur l’autre, affichant un sourire en carton pâte.
Fin du scanner.
Il me claque deux bises sèches et nous nous engouffrons dans le bar.
Une jolie serveuse moelleuse nous installe, prend la commande et s’éloigne en chaloupant, le regard de Raoul suit son postérieur rebondi jusqu’au bout du zinc, et le zinc est long.
Sortant de sa transe croupière, Raoul se reprend et pose sur moi des yeux d’entomologiste.
Il faut laisser le temps au temps, paraît-il, alors j’attends.
Il se lève, tire sa chaise, et la place près, trop près de moi.
Il me sourit, avantageux.
- Alors, ça va ?
- Oui, ça va.
- Non, mais… Ca va ?
- Ben oui, ça va !
Oui, quoi, je vais bien, les signes vitaux sont toujours alertes. Qu’est-ce qu’il veut ? Une analyse d’urine ? Une radio des poumons ?
Raoul commence à s’énerver. Ses mains s’agitent en un ballet frénétique autour de son visage, le long de son torse.
- Enfin… Ca va, ou quoi ?
Ca y est, j’ai compris ! Pas facile de parler couramment le Raoul en 2 minutes chrono. Il y a tant de dialectes différents !
Celui-ci se contre-tape de ma santé. Je pourrais bien avoir la peste bubonique ou la lèpre aphteuse… Il veut simplement savoir si je le trouve « recevable » physiquement.
- Ah. Oui, bien sûr, mais oui, ça va très bien ! – Sourire en carton.
- Ah bon… Parce que tu sais, moi, c’est vite fait bien fait. J’ai rendez-vous avec une gonzesse, elle me plaît pas, ça traîne pas. Ni bonjour, ni au revoir, je me casse aussi sec. Chui un rebelle moi, un aventurier. Pas de temps à perdre avec des bacs à lard.
Mon sourire passe du carton au placoplâtre.
- Et si la fille t’interpelle ? Si elle te demande des explications ?
- Ben je balance bien fort que je ne sors pas avec des boudins, et je me barre. Ca suffit à leur couper la chique, moi je te le dis !
C’est du lourd.
Je suppose que je devrais être flattée de ne pas avoir été insultée en public, victime du serial charcutier traiteur. Pourquoi ne suis-je pas follement reconnaissante ?
Je suppose que je devrais être flattée de ne pas avoir été insultée en public, victime du serial charcutier traiteur. Pourquoi ne suis-je pas follement reconnaissante ?
Il va me falloir passer un moment avec l’un des Raouls les plus élégants qu’il m’ait été donné de rencontrer.
Et c’est un feu d’artifice.
Le boulot, il les emmerde tous, parce que lui, c’est un warrior.
Sa femme, il l’a quittée, parce qu’au début, ça allait, mais au fil du temps, elle a pris des jambons commac (on n’en sort pas).
Le boulot, il les emmerde tous, parce que lui, c’est un warrior.
Sa femme, il l’a quittée, parce qu’au début, ça allait, mais au fil du temps, elle a pris des jambons commac (on n’en sort pas).
Sa bagnole, il l’a customisée, mais il a eu un problème de joint de culasse la première année, on se fout de la gueule de qui ?
« Joint de culasse » prend dans sa bouche une connotation particulièrement obscène, d’autant que, tout en discourant, il suit des yeux la moindre paire de fesses qui passe. Sans limite d’âge, voire de sexe. Il me semble bien qu’à un moment (d’égarement ?) il ait même reluqué l’arrière-train d’un caniche.
Et puis, me dit-il en me tâtant le bras… Il a fait les soldes ! Ca devrait m’intéresser, ça, non – une gonzesse ?
Il me montre fièrement le pantalon en Tergal qu’il a décroché pour 20 Euros. Un peu court peut-être, mais comme je fais de la couture, je pourrais pas lui refaire l’ourlet ?
Il tripatouille le bas de son pantalon à 15 cms de mon nez, me laissant entrevoir la naissance d’un mollet pâle et velu. Tentateur ! Comme les cocottes de la Belle Epoque qui dévoilaient impudiquement leur cheville sous leurs jupes entravées.
Je suis moyennement troublée, il faut bien le dire.
Dargif Moelleux apporte la note. 3,50 euros (happy hour).
Raoul s’en saisit et déclare, grand seigneur : « On partage ? »
Soit ! Je balance 2 euros, et lui 1,50 euros.
La moelleuse me lance un regard de commisération.
Je lui souris, et pour la première fois de la soirée, ce n’est pas du carton pâte.
Dans la rue, Raoul me saisit le bras, et me fait faire volte face.
- Ca te dit un petit dîner chez moi, demain soir ? Tu sais, je fais très bien la cuisine – Regard fripon, sourire entendu.
J’imagine les gencives de porc sauce Bibiche, le groin à la mode de Gland, les pieds paquets avec les chaussettes…
La réponse fuse toute seule.
- Non !
Et je dégringole les escaliers du métro.
J’ai bien cru entendre : « BOUDIN !!! »
Mais c’est de bonne guerre.
Ciao, Joint de Culasse… Va jouer aux billes sur l’autoroute !