Saison 2
Je suis une sous-sous-sous-sous Marcela Jacub. La Marcela du pauvre.
J'avoue. J'ai monté un truc pas très blanc-bleu.
Je me suis inscrite sur un site de rencontres et je me délecte à traquer le Raoul 2013.
Non pour en tirer un roman, mais simplement quelques chroniques.
J'ai déjà rencontré deux mecs. L'un était juste un gentil garçon, l'autre était un mérou.
Le Mérou
Toujours se fier à sa première impression. Toujours.
Elle est désastreuse de prime abord. Voilà un type qui se vante et se vend avec la délicatesse d'un maquignon à la foire aux bestiaux. Je suis beau, intelligent et riche. Vous ne pouvez qu'être séduite.
Soit c'est de l'humour, soit un manque de recul tragique et une paire de chevilles enflées à faire péter le fil d'Ecosse.
Beau, faut le dire vite, la photo est de qualité mais le visage dissimulé par une pose de doigts alambiquée, le majeur en moustache sous le nez et l'index le long de la tempe. Se dégage du cliché un relent de vanité assumée. Le style « Je suis moi et je t'emmerde » assez désagréable.
Je dis non. Raoul se fâche, je suis velléitaire. Il insiste, sidéré que l'on puisse lui résister.
Comment puis-je refuser de le rencontrer, alors qu'il pourrait tant m'apporter et m'apprendre. Il propose même de m'initier au libertinage. Si c'est pas du bol !
De guerre lasse, j'accepte de prendre un verre au café du coin, car nous sommes voisins. Si c'est pas du re-bol !
LE CERCLE, Asnières, 19h00.
Il a menti sur son âge, si ce type à 57 ans, je viens de passer mon certif. Mais le traficotage de bulletin de naissance est si fréquent sur les sites que je ne me formalise guère.
Pas de poignée de main, pas de chaste bise, pas même de bonjour ni de sourire. L'accueil chaleureux d'un mérou à l'étal du poissonnier.
La joliesse promise n'est pas au rendez-vous. Un grand mec revêche, à la dent inégalement distribuée, au regard dur et torve à la fois, au teint cireux, aux joues de sharpeï... mais peut-être le ramage est-il plus intéressant que le plumage. J'écoute.
Ce qui est merveilleux avec ce genre d'individu, c'est qu'on n'a pas à craindre de silences gênants. A peine assis, il se lance dans une logorrhée qui ne prendra fin que lorsque nous nous séparerons, une heure plus tard.
Il me présente un catalogue exhaustif de ses qualités et de ses richesses, de ses biens immobiliers et de ses exploits sportifs et artistiques. Pourquoi ne suis-je pas impressionnée ? Je sens une tristesse sous-jacente. Raoul est pété de thunes, mais il est seul à crever.
J'ai le tort d'accepter un dîner le lendemain.
Rendez-vous chez lui, un appartement vaste mais sans âme, sans charme.
Là encore, je bénéficie de l'accueil du mérou. Je pose le bout de mon postérieur sur un coin de sofa, il me sert un scotch dans un verre à moutarde - « J'ai que ça ! », et s'affale sur le divan, les bras grand ouverts sur les accoudoirs, les jambes croisées haut. Il commence à parler de lui.
Le sujet le passionne, à l'évidence. Il est intarissable.
Il me faut fournir des efforts de plus en plus considérables pour m'intéresser au panégyrique de Mérou 1er, royal mécéne, grand bâtisseur, visionnaire international et skieur hors piste.
Lorsque nous sortons dîner, j'ai l'esprit déjà engourdi et la certitude absolue que jamais je n'aurais pu avoir la moindre aventure avec cet individu.
La dithyrambe pro domo se poursuit pendant le repas et je n'écoute plus, je n'entends plus, jusqu'à ce qu'un fulgurant ras-le-bol m'envahisse, comme la montée soudaine d'une vague de nausée.
Je me lève, prends mon sac et mon manteau et plante Mérou entre amis poissonneux, devant sa darne de saumon.
Le froid vif de la rue me réveille tout à fait et je rentre chez moi d'un pas rapide, un sourire aux lèvres. Ce type est tellement égocentrique qu'il ne sait même pas comment je m'appelle ! Il n'a pas eu la curiosité évidente et basique de me demander mon prénom ! C'est incroyable. Jamais vu ça.
Il finira tout seul, ou accompagné d'une demie-pute moldave ultra-vénale qui se fera grassement payer pour supporter ce calvaire.
Sur le chemin, je reçois un SMS : « Tu es très très conne, bourrée de préjuger (sic), vraiment stupide ».
Mon sourire s'agrandit, il est toujours jubilatoire de se faire traiter de conne par un imbécile.
Allez, Raoul, va jouer aux billes sur l'autoroute...
Quitte ou double pour "Les Raouls" saison 2 ? J'espère votre avis.