Les aventures de Prise de Chou et du Lapin Kougloff - 12
Je rentre chez moi sous l’œil goguenard et vaguement désapprobateur de ma fille. Elle peste sur son célibat actuel et souligne que c’est le monde à l’envers, ma brave dame, regardez-moi dans la magnificence de mes 19 printemps, seule, alors que ma génitrice, cette vieille taupe, passe des nuits entières avec un Etrangleur, et qu’ils ne font pas que jouer à la crapette, moi je vous le dis… Quelle honte ! La daronne est une agace-pissette, tabarnak !
Je me dis dans ma Ford intérieure* qu’il serait peut-être bon de faire un point, là. On se pose, on réfléchit 5 minutes, au lieu de se laisser porter par les évènements, qui nous dépassent d’une bonne dizaine d’encolures depuis le début de cette improbable affaire.
Il y a ce Monsieur, qui surgit et disparaît comme un lapin de prestidigitateur. Tout me plaît chez lui, et l’attirance est réciproque, sinon il resterait bloqué dans son chapeau et je n’en entendrais plus parler. Il affirme que l’attraction n’est pas uniquement sexuelle… dois-je le croire.
Il a une amie, il lui semble attaché, mais avec elle, « tout n’est pas parfait ». Je n’ai pas demandé d’explications, mais au cours de nos longues conversations, j’ai saisi quelques détails. Elle est psy et souffre d’une incapacité notoire à grimper aux rideaux.
Tel est sans doute le nœud du problème (oui, bon, je ne l’ai même pas fait exprès !).
Etant données mes facilités en escalade d’éléments décoratifs, j’apporte donc un complément substantiel à l’équilibre de sa vie amoureuse.
C’est la totale : le beurre, l’argent du beurre, et moi en cul de la crémière.
Ce rôle me satisfait-il ?
Pour l’instant, oui.
Me suffit-il ?
Si ça dure, ça peut devenir frustrant.
Suis-je férocement jalouse de Frigide Barjot ?
Pas du tout. C’est elle, me semble-t-il qui a le rôle le plus ingrat dans ce trio infernal. Moi je sais, elle non.
J’accepte de « partager » ?
Ben oui. Suivons les grands préceptes de l’existence, dont le fameux « mieux vaut être à plusieurs sur un bon coup que toute seule sur un mauvais ».
J’informe donc Lapin de ma franche libéralité, n’exige rien, ne demande rien. De façon étrange, ça ne semble pas le réjouir outre mesure.
En l’espace d’une semaine, nous passons quelques nuits délicieuses et complices, sortons au théâtre voir Dame Toche dans ses œuvres, mangeons des falafels sur un banc de la rue des Rosiers, buvons quelques bières sur des terrasses ensoleillées… je commence à adorer ce mois d’août à Paris.
Il m’informe un soir que Frigide Barjot rentre le lendemain, et qu’il l’emmène dans sa bergerie dans la montagne pour une dizaine de jours. C’était prévu de longue date.
Fort bien.
En attendant, Mieuvautard rentre de vacances et demande à me voir au plus vite.
Qu’est-ce que je vais en faire, de celui-là ?
* J’use et abuse de cette expression, je sais, c’est compulsif !