Douane - Zoll
Toutes celles qui ont passé la douane vous le confirmeront sans doute. Il est des frontières difficiles à franchir.
Celle de La Cinquantaine, tiens. Alors que La Trentaine et la Quarantaine ont été traversées fingers in the nose, avec armes et bagages, fleur au fusil, La Cinquantaine fut rude.
Le douanier en poste à ce passage stratégique est tatillon et fait du zèle. C'est un fieffé enculé et il confisque sauvage.
Pour passer de l'autre côté, il te faut te délester un max.
De ta jeunesse à laquelle tu t'accroches encore par les poils pubiens. C'est fini. Tu n'es plus entre deux âges, tu es senior ma poule (traduction pour les mal-lisants : t'es une vieille peau).
Oublie les shorts, les mini-jupes, les débardeurs translucides, les seins nus, c'est plus d'actualité, ou alors rubrique humour gérontophobe.
Evite de reluquer les jeunes mâles croustillants, tu passerais pour une antiquité perverse.
Fais des économies ! Les Rouges n'envahissent plus ton intimité tous les mois. Tu n'es plus féconde, chérie, plus apte à la reproduction de l'espèce. Tu as déjà pondu ? Bien, tu as rempli ta fonction de femelle, dégage, maintenant. Tu n'as pas d'enfant ? Tant pis pour ta gueule. Trop tard. T'auras vraiment servi à pas grand chose.
Sache tout de même que Monsieur Procter et son pote Gamble, sans compter le cousin Henkel ne te lâchent pas la grappe pour autant. Ils ne te refilent plus leurs tampons à foune, mais ils te préparent de jolies couches pour tes fuites, dans quelques années. Tu changes de catégorie, mais tu fais toujours partie de la clientèle.
C'est aussi à cette frontière que l'on se sépare de l'autre. Pas une règle immuable, mais c'est souvent dans ces eaux-là.
Moi, c'est tombé pile poil le mois de mon anniversaire. Autant dire que le passage à la douane fut brutal.
Je me souviens de ma première nuit, seule dans l'appartement de mon père, que j'ai réinvesti.
Coucher dans le lit de mes parents, avec le papier peint seventies sur les murs, entourée d'objets qui m'étaient familiers pendant mon adolescence. Ne pas dormir. Pleurer beaucoup. Tenter de se raisonner, de faire le point, ne pas y parvenir. Avoir peur. Penser à la façon la plus convenable de se supprimer. Le séchoir qui donne sur le toit de l'immeuble. J'ai la clef. 6 étages, je ne peux pas me rater. Mais je ne dois pas, j'ai mes enfants. Faut pas.
Heureusement ils étaient là. Mes nains et mes amis. Ils m'ont sortie du trou, fait passer la frontière à grands coups de pieds au cul.
Le paysage est différent, de l'autre côté, ou plutôt le point de vue.
Faut s'adapter, apprendre les us et coutumes, la langue. C'est fait. Je suis très bien intégrée parmi les indigènes. C'est fou ce qu'on se ressemble.
Seuls ceux qui font semblant d'appartenir encore à l'autre pays font taches.
Alors n'ayez plus peur de passer la douane. Ici, chez les vieux, on aime, on rit, on pleure, on vit.