Claude et moi
J’ai trouvé le nom de l’arbre que j’aime bien près de la gare d’Asnières. Il y en avait pléthore près de Nantes l’autre week-end, et personne n’a su me dire de quoi il s’agissait. Bravo les aminches de la nature ! Moi j’ai des excuses, je suis née dans le bitume, mais eux qui ont gambadé comme de frais dindons dans la cour de la ferme toute leur jeunesse…
Qui plus est ce n’est pas une rareté tropicale au nom imprononçable de maladie honteuse, non. C’est tout con. Un magnolia.
Et si je dis « Magnolia », ça vous évoque quoi, immédiatement, à vous autres ???
Ne mentez pas ! Ca vous évoque un tube à la con de Claude François !
Ce satané avorton gâche les plus jolies choses ! Je ne peux pas l’encaisser. Si je me suis battue une fois dans ma vie, c’est à cause de lui, en plus.
Je déteste ce mec, je l’ai toujours haï, je le conchie, le méprise et vénère la sainte ampoule salvatrice. Sa « musique » me file des vergétures…
Au lycée (période 70), il y avait un troupeau de groupies du gnome dans ma classe. QI de praire, fashionistas froufroutantes, braillant dans la cour des miasmes musicaux du nain à paillettes, s’échangeant les photos de leur demi-dieu en costard bleu électrique et col pelle à tarte. Une vraie gerbe !
La vestale en chef, Christine Joffre (dite la Maréchale, ou Nous Voilà), était mon ennemie personnelle. A plus d’un titre. Outre son addiction stupide à Cloclo le Nabot, elle était super balèze en gym. Moi non, et quand je dis non, c’est non. Une brêle notoire.
Un sort cruel m’obligeait à courir le 100 m, chaque semaine, en binôme avec elle. Mon nom commençait par un J et on fonctionnait par paire et par ordre alphabétique, ce qui, vous en conviendrez, est particulièrement débile.
J’avais à peine parcouru 50 mètres qu’elle était déjà arrivée, souveraine, les bras levés en V, sous les vivats de la foule en délire.
J’étais parfaitement ridicule avec mes grandes jambes de poulpe inopérantes. Joffre, petite et râblée, m’arrivait à l’épaule et avait la victoire orgueilleuse et bruyante. Alors qu’à vaincre sans péril…
J’étais absolument fumasse et comme je suis tout sauf une gentille fille qui tend l’autre joue, mes vengeances étaient saignantes et répétées.
Je l’humiliais quotidiennement en cours. Les profs de français, anglais, histoire, philo, éco, allemand, l’interrogeaient ? J’étais systématiquement d’un avis diamétralement opposé. Je partais à l’assaut et explosais ses théories sadiquement, me lançant dans des diatribes fleuries qui mettaient les rieurs de mon côté. Ces mêmes rieurs qui se foutaient de ma gueule sur le stade.
C’est grâce à cette pétasse de Nous-Voilà que j’ai développé mon vocabulaire, affuté mes réparties, et gagné une réputation de tueuse. Qui s’y frotte s’y nique !
Notre prof de musique demanda un jour à la cantonade quel genre de musique nous écoutions, désespéré de voir les ¾ de la classe peu réceptifs à Mozart et consorts.
La Maréchale, empourprée, se leva brutalement, l’œil luisant et le sein frémissant : « Claude François ! C’est lui le meilleur ! ».
Elle n’aurait pas dû. Je ne me rappelle plus de ce que j’ai répliqué, mais le ton est monté rapido niveau collorature et, moins agile du ciboulot que de la gambette, Joffre a morflé grave. La dialectique peut-elle casser des briques, je ne sais pas, mais une pauvre fille pas très fufute, ça le fait. Toute la classe était pliée ! Elle n’a plus rien dit soudain, et verte de rage a traversé la pièce pour me sauter dessus, dans le but évident de m’arracher les yeux, les cheveux et les dents, éventuellement.
Je me bats aussi mal que je cavale. Elle m’aurait sans doute achevée sans l’intervention des autres qui nous ont séparées in extremis.
Elle a été virée du lycée. Je n’ai plus jamais couru avec elle.
Je me rends compte aujourd’hui que la sanction était cruelle et ma part de responsabilité écrasante, mais bon, voilà. Je suis une méchante fille. Faut pas me faire chier.
ET FAUT PAS ME PARLER DE CLAUDE FRANCOIS !!!