Slurrrpif
Je suis une habituée des concerts classiques. Tiens, la preuve, j'y suis allée trois fois en dix ans. Et comme la première de ces trois fois était la toute première fois, on va dire que j'y suis allée 3 fois en 57 ans.
Dvorak (Antonin) - Symphonie n°9 (dite "du nouveau monde")
Mozart (Wolfgang Amadeus) - La Flûte Enchantée et jeudi soir, Vivaldi et Piazzolla.
Le concert commence, les poils me poussent sur les bras à chaque attaque du chef violoneux, je nage dans la félicité jusqu'à ce qu'un son parasite vienne polluer l'extase de mes cages à miel.
Slurrrpif...
10 secondes...
Slurrrpif...
10 secondes...
Slurrrpif...
Je me prends à attendre le slurrrpif, à le craindre, à l'espérer pour qu'il débarrasse le plancher jusqu'au suivant.
Je cerne bien vite son origine. C'est Revêche qui renifle. Toutes les dix secondes, elle remonte les clochettes dans le beffroi.
Un premier élan me pousse à l'attraper au colbac et à lui hurler : "Si t'as pas de tire-gomme, mouche toi dans ton carré Hermès, grognasse !", mais un reste de civilité m'en empêche.
Je subis quelques minutes encore le slurrrpif qui me semble de plus en plus sonore.
N'y tenant plus, je me penche vers la morveuse et lui demande doucement :
- Excusez-moi, Madame, voulez-vous un mouchoir en papier ?
Elle me regarde comme si j'avais sodomisé Kiki, son basset artésien.
- Je peux pas me moucher, ça ferait du bruit !
- Faites, Madame, faites, ça fera du bruit une seule fois !
- Je ne suis pas de ces gens qui toussent pendant les concerts !
- Et bien soyez de ceux qui se mouchent !
Elle ne se mouche pas, mais miraculeusement, les slurrrpifs cessent et la fin du concert se déroule aux seuls sons de Vivaldi et Piazzolla.
Fin. Applaudissements nourris, évacuation de la salle.
Revêche, des lance-flammes au fond des quinquets, m'apostrophe et me signale que je suis une mal-polie et que je lui ai gâché la vie et que je suis bien mal élevée et que des comme moi et bien merci !
Elle me tourne le dos en mode Rossini et s'engage dans l'allée.
Je ne dis rien, je souris, et la suis de près.
Toutes les dix secondes, je renifle dans son cou. Slurrrpif... slurrrpif...slurrrpif...