La vague sombre
Après l'histoire soufflante de la mandale chinoise, je poursuis mes petites histoires de gonzesses.
Marianne a 24 ans. Elle vit depuis 3 ans avec Marc une histoire d'amour fort.
Ils ont vécu très vite ensemble après leur rencontre, incapables de se séparer plus d'une journée. Après l'amour, ils restent, essoufflés, serrés dans les bras l'un de l'autre et voudraient périr foudroyés sur l'heure, tant ils se sentent au faîte d'un bonheur insurpassable.
Et ça dure, aucune baisse de régime, de sentiment. Fusionnels.
Mais Marc est loin depuis un mois. Assistant réalisateur, il est en tournage dans le Périgord, sur une dramatique télé moyennageuse.
Marianne reste à Paris, elle cherche du boulot. C'est difficile. Tous les soirs, Marc téléphone. Ils parlent longtemps et Marianne va se coucher, bercée par le son de sa voix.
Ce soir, Marc appelle plus tard qu'à l'habitude.
- Marianne, faut que je te dise quelque chose.
- Oui ?
- Hier, il y avait une fête pour l'anniversaire du cadreur.
- Oui, tu me l'avais dit.
- Bon. On a un peu bu. Et... ben j'ai couché avec la scripte.
Marianne a l'impression de recevoir une lance en plein coeur, du sang bouillonnant jaillit de la plaie. Elle s'assoit, ses jambes ne la portent plus. Elle s'essaye à la distance, maladroitement.
- Ah ! Et... c'était... bien ?
- Oui, enfin bon... mais ça ne change rien entre nous, je t'...
Elle a raccroché, arraché la prise du téléphone.
Elle arpente le petit appartement. Les larmes sont arrivées toutes seules et coulent en continu. Elle marche et pleure, elle tape du plat de la main sur les murs. Elle sent dans son ventre naître une boule de douleur, comme un trou noir qui la happerait toute entière de l'intérieur.
Elle crie. Elle a mal.
Au bout d'un long moment, son chagrin se transforme. Elle sent monter en elle une sourde colère, comme une vague énorme et sombre. Elle la laisse venir, elle l'accueille, elle nage sur sa crête.
Elle se dirige vers la salle de bain, lave son visage. Plus de larmes. Elle se maquille plus qu'à l'habitude. Noirs les yeux, rouge la bouche.
Dans sa penderie, elle choisit sa robe la plus courte et ses talons les plus hauts.
Elle sort dans la nuit, juchée sur sa vague.