Raoul, le retour
Comme je n'ai aucune inspiration, je vous propose du réchauffé. Tiens, l'une de mes premières rencontres Meetic... un joli souvenir romantique, l'un de mes plus charmants Raoul.
Rendez-vous 18 heures – Bastille
La place rouge était blanche. Blanche de blouses.
Une manif d’internes en rogne contre je ne sais quelle nouveauté innovante de Bling Bling 1er.
Super ! J’avais dit : « Tu me reconnaîtras facilement, j’aurai un imper blanc ».
J’hésite à l’enlever, mais il pleut.
Je signe la pétition 3 fois (valent mieux qu’une) et je pars à la chasse au Raoul.
Ah, le voilà, une silhouette recroquevillée derrière l’entrée du métro. C’est un vilain menteur, le garçon, ou il est fâché avec les dizaines. Il a surévalué sa taille de 10 cms et sous-évalué son âge de 10 ans. Tant pis. Je m’approche.
- Bonjour ! On n’aurait pas rendez-vous, par hasard ?
- Euh… Oui… Euh…
Blanc de 3 kms. Faut croire que c’est la grande journée du blanc.
- On va boire un pot ?
- Euh… Oui… Euh…
Direction Rue de la Roquette, café lambda, installation maladroite, puis silence. Ca commence fort.
Tiens, chouette, le serveur.
Commande, puis silence.
Pour parfaire l’ambiance, un couple d’ados à côté se roule des pelles Jacques Mayol. On frôle des records d’apnée au pays de l’acné.
Re-chouette, le serveur sert.
Allez hop, une petite gorgée pour fluidifier la diction.
Rien.
Je cherche désespérément quelque chose à dire. De préférence quelque chose de magique qui décoince la situation. Plus je cherche, moins je trouve.
Raoul se plonge dans la contemplation mystique de son sous boc. Il fait peut-être collection ?
Trouver un truc drôle à raconter à propos des sous bocs. Rien ne vient.
L’atmosphère s’épaissit de seconde en seconde. J’ai l’impression de respirer de la polenta.
Alors, je dis n’importe quoi.
- Tiens, aujourd’hui j’ai vu un plombier !
Lueur dans le regard du poisson mort.
- Oui, je fais faire des travaux, je fais poser une douche.
- Ah oui ! Moi aussi j’ai fait des travaux chez moi, il y a 6 mois !
Re-re-chouette.
- En fait, j’ai posé un parquet flottant !
- Non ?
- Si ! Et…
Et c’est parti. L’épopée complète en 5 volumes du parquet flottant. Le choix du fournisseur, la qualité du bois, la comparaison des prix, la livraison, la méthode de clipage…
Intarissable, le Raoul. Pas moyen, ni envie, d’en placer une.
Je suis réduite au rôle du clébard en plastique qui dodeline sur la plage arrière de la Clio familiale.
Son regard est enfin clair, il s’anime, il fait de grands gestes… Clip, clip.
J’aurais du mettre une robe en bois !
Soudain, alors qu’il aborde le sujet délicat de l’espace à respecter entre les lattes, parce que le parquet, ça travaille, l’ado d’à côté se lève d’un bond, bleuissant, et dégaine son portable.
Il suffoque, il va mal. Accident d’apnée ?
- Allo Docteur, je crois que je vais faire une crise…
Il sort en beuglant dans son téléphone.
Sa compagne le suit mollement, les yeux écarquillés. L’ivresse des profondeurs, sans doute.
Mon Raoul, imperturbable, attaque le couloir…
- Excuse-moi !
Je sors à la suite du Grand Bleu, je le prends par l’aileron et le conduis vers les blouses blanches.
- Occupez-vous de lui, il a un malaise !
La vague blanche absorbe mon malade et sa morue.
Tête basse, mais conscience tranquille, je rejoins le grand bâtisseur.
Il reprend son récit où il l’avait laissé. L’a-t-il seulement interrompu pendant mon absence ?
J’en ai ras le bol. Je lève le camp, prétextant un prétexte foireux.
Raoul, toujours disert, me narre par le menu l’époustouflant épisode du ponçage, tout en me ramenant au métro. J’abrège.
- Au revoir !
Ouf. Je souris toute seule comme une imbécile dans le métro, libérée des travaux forcés.
Tiens, texto !
« J’ai adoré cette conversation avec toi, on peut se revoir très vite ? »
Je n’ai pas eu le courage de répondre… Peut-être vais-je rater une leçon magistrale sur le crépis. Tant pis.
Allez, Parquet Flottant, va jouer aux billes sur l’autoroute !