Dondon Poireau
C’est la première fois que je prends le TGV à Nantes pour regagner Paris, après un réveillon pratiquement idéal passé avec Saute-Biniou et sa joyeuse bande de beurrés nantais. Homard, fruits de mer, bons vins, danses frénétiques, rigolades, macarons, Macaron.
L’an neuf commence très bien !
Après des adieux déchirants sur le quai, les joues baignées de larmes (le froid… un froid à congeler un inuit), je monte dans le train et prends place aux côtés d’une dondon à poireau, style Jabba the Hutt emperruqué, qui cocotte tellement des ailerons qu’on est en droit de se demander si elle n’a pas gardé quelques reliefs du nouvel an sous le bras (tranches de saucisson, saumon fumé, tête de veau farigoule).
Comme je suis d’excellente humeur, je m’abstiens de lui défoncer le portrait à coup de manche de pioche et de la balancer par la fenêtre, ce qui aurait pourtant pu s’accomplir avec la complicité et sous les vivats des voisins immédiats.
Au bout de cinq minutes de trajet, une voix mâle et consensuelle, de type «Raël va vous causer dans le cornet », sort des tuyaux pour nous déclarer pratiquement texto :
« Vous avez pris place dans l’IDTGV 7932, à destination de Paris-Montparnasse. Nous vous rappelons que les voitures 1 et 9, situées aux extrémités du train, sont des zones zen. Calme et silence de rigueur. Adoptez-y la zen attitude ! Les autres voitures sont des espaces de convivialité, nous vous invitons à saluer votre voisin et à engager la conversation. »
C’est quoi ce délire ?
Bientôt des compartiments réservés à l’engueulade méridionale, à la pignolade de groupe, à l’apprentissage du macramé en poils pubiens, au lancer de crottes de blair, à la chasse aux coquecigrues ?
Ils ne savent plus quoi inventer à la SNCF !
C’est alors que Dondon Poireau se tourne vers moi pour me gratifier d’un sourire enivrant qui me fait frémir de la glotte au périnée. Heureusement que nous ne sommes pas dans le wagon Roulage de pelles !
« Je me présente, Karine Grobert… »
Mamma mia ! Je ne veux pas y causer, je ne veux pas sentir son haleine fétide me caresser le tarin pendant deux heures. OK, c’est parti pour l’application de la méthode rosbif.
Je fais donc comme à mon habitude dans ce genre de situation : interface indésirable avec bignole revêche, gros connard, pue du bec, emmerdeur, casse-burne. Je prends un air de ravie de la crèche, ouvre des yeux comme des huîtres en gelée, et susurre avec mon meilleur accent britannique :
« Sorry, je pas pawler fwancais ! »
Etonnement de la charmante, puis regard fumasse et tournage de dos fâché.
J’ai simplement oublié qu’en entrant dans le compartiment, tout en rangeant mon bagage à dix centimètres de Poireau, j’étais en grande conversation téléphonique avec une copine, et que nous jactions parfaitement le camembert… Oups !