Tricot, boulot, dodo
Je tricote dans le métro. Non, je ne tripote pas, je tricote.
Les gens me regardent bizarre. Pourtant, c’est inoffensif, je ne plante pas mes aiguilles dans des poupées Sarko, je ne fais pas « atelier faiseuse d’anges » au débotté, porte Maillot.
Mais c’est mal perçu. Ca craint. Je passe pour une allumée, sans doute parce que je n’ai pas encore tout à fait le look que l’on associe à l’activité : bas varices, chaussures Scholl, mistifrisage bleuté. Ca viendra.
Beaucoup me dévisagent comme si j’étais une alien en provenance directe de la planète Woolite. Et ça m’énerve ! Et quand je suis énervée, je deviens vite méchante.
Zut, je tricote, c’est tout. C’est pas comme si je mangeais un sandwich au cassoulet ou un kebab Strogonoff en mâchant la bouche ouverte !
Genre, hier, station Exelmans, Paris 16ème.
Une BCBG s’assied devant moi avec son gniard bonpointisé de pied en cap, avec une jolie trombine de premier de la classe et une raie sur le côté tirée au cordeau (Madame Mère a du cracher sur le peigne, c’est pas possible autrement). Il me regarde avec des yeux ronds comme des billes de loto.
- Maman, elle fait quoi la dame ?
- Elle tricote, Edmond. (sourire pincé dans ma direction)
- A quoi ça sert ?
- Et bien la dame, elle peut fabriquer des pulls, des écharpes, toutes sortes de vêtements, tu vois.
- Mais pourquoi elle les achète pas tout fait dans le magasin ?
Agacement grandissant de la mère qui approuve dans sa Ford intérieure*. Pourquoi se faire tartir alors qu’on trouve de très jolies choses dans le commerce, chez Bonpoint, par exemple.
- La dame aime peut-être ça tricoter. Et puis ça suffit, Edmond, tiens toi tranquille, et arrête de regarder la dame !
- Madame, qu’est-ce que tu tricotes ? T’as pas d’argent pour acheter des vêtements dans le magasin ?
Ouh, il commence à me courir sur le haricot, l’Edmond. D’ordinaire, je réponds gentiment : je tricote un cache-nain, ou un chauffe théière, ou une serpillère… pour rigoler. Mais là, non. Je lui lance un regard noir assaisonné d’un rictus effrayant (je fais très bien la sorcière).
Edmond pète de trouille, il la ferme illico, baisse les yeux et retourne à l’observation fascinante des stalactites nasales qui dégoulinent sur ses moufles Bonpoint.
Faut pas faire chier le marin, la tricoteuse non plus !
* Ca faisait longtemps que je n’avais employé cette expression qui ne cesse de me ravir !
Autrement, y'avait un guitareux qui chantait ça, quelques stations plus loin. Ca change des Yeux Noirs à l'accordéon, je lui ai filé 1 euro et 1 sourire... c'est la chanson que me mettaient mes potes rosbifs quand j'arrivais chez eux, au temps où je ne savais pas tricoter. Nostalgie, quand tu nous tiens !