FBI
Je fais la queue chez Nicolas.
Mon but, ma quête, mon Graal… acheter une bouteille de Bombay Sapphire, petit cadeau alcoolo pour deux membres du gang des Black Pampers, la Morue et son Jules qui s’aiment d’amour et qui viennent de se mettre à la colle - comme disait ma grand-mère avec son élégance coutumière.
Une bonne femme me reluque avec insistance, et très en biais.
J’ai l’impression de l’avoir déjà vue quelque part, mais où ? J’ai beau me torturer le cigarillo, que pouic, la toundra dans les neurones.
Elle fait ses petites emplettes et se retourne soudain vers moi, fumasse :
- Dis donc, Danielle, quand on t’appelle, tu pourrais au moins avoir la politesse de répondre. Je t’ai appelée au moins dix fois ! Pôv conne !
Et elle met les voiles, hautaine, avec des airs de lévrier en carrosse.
Malaise à Bibineland, tout le monde me regarde comme si j’avais pondu un œuf.
Et d’un coup, clic, la mémoire me revient.
C’était il y a deux ans. Je venais de m’installer à Courbevoie et de m’inscrire sur Meetic par la même occase.
J’essayais de prendre mes marques et de flairer mon quartier.
Supermarché ? Casino. Bon, on allait manger, boire, c… du Casi. Troquet ? Face Casi, le Cercle. Terrasse, serveurs sympas. Va pour le Cercle.
Fin d’aprem, seule avec mes deux petits plastiques Casi, je décide de m’octroyer un petit café en terrasse, avant de me pénater.
J’avais rencontré la veille au même endroit un Raoul si insipide qu’il n’en sera pas fait mention dans ce blog.
Sirotant mon kawa et profitant du soleil couchant, je vois débarquer un couple improbable.
Elle, 50 ans, stricte, petit chemisier fermé jusqu’à la glotte, jupe droite, talons plats.
Lui, 5 ou 10 ans de moins, grand mollusque, costard en tire-bouchon et cravate de traviole.
Ils prennent place juste derrière moi, et si je n’écoute pas, je suis bien obligée d’entendre.
Un rendez-vous Meetic !
Le garçon n’en décroche pas une. Elle meuble comme elle peut, pose des questions, lance des débats, des plaisanteries pas très fun…
Le mec est une carpe, ça ne se passe pas bien du tout.
Me rappelant ma pénible conversation de la veille avec un bulot autiste, je compatis avec la dame.
Je scribouille sur mon addition : « Il me semble que nous sommes dans une situation similaire, il serait amusant de comparer nos mésaventures + mon adresse mail ». Je lui colle le papelard sous le nez – pincé le nez, et je me barre.
FBI ! Fausse Bonne Idée…
Mail de réponse le soir même, rendez-vous au Cercle le lendemain, et là, je comprends la connerie de mon élan spontané.
Cette fille ne me plaît pas du tout, du tout. Elle est aigrie, pas drôle, raciste, coincebarre, et de plus n’a pas un seul pote dans la région et au-delà.
Je lui suis tombée dessus comme la mousson sur Gobi.
Elle me veut, elle me couve, elle m’aime déjà. Je peux venir dîner chez elle, dormir, passer quelques jours dans sa maison de famille à Limoges…
Elle me fout les jetons. Je louvoie, biaise, sourit mollement et me casse au plus vite.
C’est pas dix fois, qu’elle a téléphoné, c’est cinquante.
Au début, je prenais l’appel et trouvais toujours une excuse bidon pour ne pas la voir. A la longue, lassée de mes propres mensonges, je n’ai plus répondu.
Et me voilà nonne grata à Bibineland…
M’en fous, ils ont aussi du Bombay, chez Casi !