Solitude - Le bouquin
Il est bien, mon bouquin. C'est mon univers bis depuis 3 jours. Je le trimballe partout, je l'ouvre dès que possible, je plonge dedans et je m'échappe.
Il y a pas mal de monde dans le métro, mais j'ai trouvé un strapontin en bout de voiture. Je dégaine mon livre et je m'abstrais illico.
C'est bizarre, depuis quelques minutes, je me sens observée. Gênant.
Je lève les yeux. Qu'est-ce qui se passe ?
Tous les regards convergent dans ma direction. Pas hostiles, non ; curieux, observateurs. Ils se détournent quand je les fixe, mais reviennent se poser sur mon coin de wagon au bout de quelques secondes.
Je dois avoir un truc monstrueux collé sur la tronche. Une morve géante, un bout de patate, une scarole coincée entre les incisives, un érythème fessier mal placé. Ou peut-être ma braguette est-elle béante. Ou...
Je sors mon poudrier, ni patate, ni salade. Mon futal ne révèle rien de mon intimité. Mais les regards pèsent toujours.
Ca suffit maintenant, je commence à la trouver mauvaise. Je me lève, farouche, un rictus vengeur au coin des lèvres.
C'est alors que j'entrevois mon voisin de strapontin.
Vain Dieu la belle église ! Vous en aviez rêvé, sa maman l'a fait. Il relègue Johnny Depp au rang de Galabru, le garçon. Faut le tuer tout de suite et l'empailler, pour pas laisser perdre. Mieux, clonons-le dare-dare, tant pis pour le Comité d'Ethique, c'est un cas de force majeure...
Je me sens horriblement cruche, d'un seul coup, drapée dans mon indignité. Rougissante, je descends rapido du métro, non sans un dernier coup d'œil au dieu vivant de la mâlitude.
Solaire, somptueux et indifférent. C'est lui qu'on dévisage, mais il s'en fout, il est plongé dans son bouquin.